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Webdesign
LES CASSE-TÊTE DU CHINOIS

Par Marie LECHNER
Le vendredi 26 avril 2002
 
Est-ce que vous aimez les dim-sum chinois ? Non, vous préférez les hamburgers ?» Goûtez à la worldcuisine épicée mitonnée par Kenneth «Tin-kin» Hung. Ce webdesigner de 26 ans excelle dans l'art du photomontage incisif, de la manipulation visuelle, de l'altération des identités. Son site au nom impossible (60 fois le chiffre 1.com) est uniquement constitué d'une série de splash pages, ces pages très graphiques qui ouvrent les sites web.


Adepte du syncrétisme le plus farfelu, il s'invente des stars imaginaires ou croque les grands de ce monde dans des compositions kitsch et surchargées, fidèles à l'esthétique asiatique et truffées de références américaines (les jeux vidéo, la télévision, le cinéma, la publicité, les fast-foods). Il procède à de hardis raccourcis, en collant une tête de Mao sur un buste de Ronald McDonald, ou un Pac Man sur le corps de Mao ou une tête de Mao sur le corps de Bouddha ou de la Vierge. Dans American Sweetheart, Kenneth travestit George Bush en pin-up blonde, un poil vulgaire, allongée lascivement sur une Cadillac rose. Dans une affiche digne d'un blockbuster hollywoodien, ou d'un film de propagande, il met aux prises le Premier ministre israélien transformé en robot de combat made in USA à un «Godzillarafat» menaçant.


Schizophrénie. Kenneth est né à Hong-kong où il a «grandi dans un contexte où tous les adultes souffraient de schizophrénie et de paranoïa» avant d'émigrer aux Etats-Unis, à San Francisco. «Je fais en permanence des allers- retours entre ces deux cultures extrêmes», concède-t-il. Un écartèlement qui se retrouve dans ses créations comme dans sa vie. Designer à ses heures perdues, il gagne sa croûte en animant une émission de télé pour la communauté chinoise, le Week-end World Show, et pose comme modèle pour l'une des plus grosses marques américaines de vêtements. Ses réalisations critiquent autant la société américaine du gâchis que l'hypocrisie communiste chinoise. «Quand la Chine a rejoint l'OMC (Organisation mondiale du commerce, ndlr), la culture de consommation occidentale a été importée en même temps que les superproductions hollywoodiennes et les franchises de fast-food, et de nouveaux business-concepts ont été introduits. Quand l'Internet est devenu populaire en Chine, beaucoup de gens ont cru que ça allait renforcer la liberté d'expression. Mais le gouvernement y a vite mis fin en rachetant ou en investissant dans les hébergeurs.»


Et parce que la liberté d'expression, ça se mérite, Kenneth a tout fait pour rendre son site inhospitalier : un nom de domaine interminable, une navigation à sens unique, de lourds temps de chargement, soit l'«antimodèle» de ce qui fait habituellement le succès d'un site web. «On clique en espérant finalement arriver au contenu, mais le contenu, il n'y en a pas, il n'y a que des images.» 60 x 1 se poursuivra jusqu'à atteindre 60 splash pages.