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Kenneth Tin-Kin Hung : détournement d'images

• BOUVIER | LE MONDE INTERACTIF | 19.06.02 | 15h28
• MIS A JOUR LE 02.07.02 | 11h10
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Des pages dans tous les sens, qui voudraient sortir de l'écran, qui demandent une résolution de 1152 X 864 pixels.
Un Mao Zedong récupéré par MacDo et transformé en MaoDonald, puis en Pac Mao, un George W. Bush devenu
playmate... L'univers graphique présenté par Kenneth Tin-Kin Hung sur son site est fait de dérision, de détournement,
de provocation.
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Cet artiste né en 1976, à Hongkong, vit aujourd'hui à San Francisco. Diplômé de l'université de cette ville (majeure
en photographie), il travaille sur l'image numérique, le son, les installations, la sculpture, et bien sûr le Net art.
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Le site est un mille-feuille de pages qui jaillissent plus qu'elles ne s'affichent à l'écran. En cliquant sur les invites
("Enter") qui demandent au spectateur d'aller plus loin, on se rend compte qu'il n'y a pas, à proprement parler, de
contenu, juste une succession d'images détournées plus loufoques les unes que les autres. "Ce site veut ouvrir un
débat sur la notion de contenu dans les sites Web", précise Kenneth Tin-Kin Hung, qui rejette les notions
d'ergonomie propres aux sites Web institutionnels et commerciaux. "Le site est volontairement "user-unfriendly",
à l'inverse des sites Web traditionnels et des portails sur lesquels les liens sont contenus dans une interface qui
permet de générer un maximum de clics." Le site et son adresse à rallonge, sa navigation à sens unique, la taille de
ses images doit, paradoxalement, générer un minimum de hits. Il teste la patience des spectateurs en mettant en
question la notion de Toile sur laquelle on se promène de lien en lien.
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Le site questionne aussi le monde contemporain. Mao, George W. Bush ou le conflit israélo-palestinien surgissent
au gré de pages de Kenneth Tin-Kin Hung. "Mao est la figure ultime du communisme chinois. Mais l'arrivée au
pouvoir de Deng Xiaoping a transformé la Chine en pays du communisme de marché, où la figure de propagande
de Mao est devenue un produit commercial." Comme Bouddha, Mao est censé protéger des mauvais sorts, et
l'image du révolutionnaire disparaît. "Ma série sur Mao résume ma lecture de l'entrée de la Chine dans l'OMC : je
mélange l'icône communiste et la chaîne de restaurant de McDo pour en faire un hybride, MaoDonald's."
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Le conflit israélo-palestinien fournit à l'artiste l'occasion de prendre parti et de présenter une série de pages mettant
aux prises un mutant combinant Ariel Sharon et Optimus Prime, un héros de la BD américaine Transformer, et
Yasser Arafat-Godzilla. Explications? "Optimus Prime-Sharon utilise toujours le dernier cri en termes de
technologie militaire – en l'occurrence, celle achetée par Israël aux Etats-Unis –, et ses aventures représentent le
combat du bien contre le mal," explique Kenneth Tin-Kin Hung. Ce qui correspond à la façon dont les médias
américains présentent ce conflit. Pour ce qui est d'Arafat-Godzilla, l'original des films japonais est pris, à tort,
pour une créature qui menace de détruire le monde. Godzilla se bat à mains nues contre ses adversaires, ce qui est
un peu le cas des Palestiniens dans le conflit israélo-palestinien. L'idée de cette série de pages est de montrer
qu'on a à faire à un terrorisme d'Etat, légal, face à un terrorisme illégal."
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Le site recycle les clichés du Net : les hoax, les personnages virtuels comme Super-Greg, GeorgeWgirls ou la
version asiatique de Prince. "Prenez l'exemple de la version asiatique de Prince. A l'origine, il s'agissait d'un
chanteur de glam rock vietnamien de la fin des années 1970. Vingt ans plus tard, un internaute s'est approprié
l'image et a créé une nouvelle identité, dont je me suis servi pour faire autre chose. Il s'agit de montrer que l'on
peut s'approprier une image et la manipuler dans plusieurs directions." Kenneth Tin-Kin Hung ajoute une anecdote
concernant la version asiatique du chanteur de Minneapolis. "Un jour, une internaute m'a appelé pour me demander
où elle pouvait joindre le Prince asiatique... La boucle de la ré-appropriation était bouclée." Kenneth Tin-Kin
Hung est pourtant loin d'en avoir fini avec
www.111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111.com/. Le site va continuer à
croître, par ajouts successifs d'images toujours aussi désopilantes.
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Pierre Bouvier
bouvier@lemonde.fr
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Le site de Kenneth Tin-Kin Hung :
www.111111111111111111111111111111111111111111111111111111111111.com/ 
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